CETTE PREMIÈRE EXPÉRIENCE DE COACHING M’A DONNÉ ENVIE DE PARTIR EN COURANT.
(Mais je suis restée).
Qu’est-ce que le « succès »?
On ne m’y prendra pas deux fois.
Ce client que j’avais accompagné il y a plusieurs années pour améliorer ses compétences en français, m’avait expliqué qu’il avait tout réussi dans sa vie. Il aimait associer le mot « succès » à sa personne. J’aurais dû me douter que dans sa bouche, le mot « succès » n’avait pas la même valeur que pour moi.
Il ne parlait aucunement de liberté, d’authenticité, d’intégrité ni d’épanouissement personnel. Il ne parlait pas non plus d’amour, de plaisir ou d’amitié. Il était encore moins question d’abnégation ou de soutien apporté à de nobles causes. Aucun paysage ne l’avait bouleversé, aucune rencontre ne l’avait transformé.
Non. Il parlait de la fortune (financière) qu’il avait faite dans sa carrière de banquier privé.
Devant un verre de vin, les yeux baissés, il me confie cependant lors de ce bref rendez-vous à Fribourg qu’il n’a pas trouvé « le sens de son existence » et que c’est pour cela qu’il pourrait désormais « avoir besoin de moi ».
C’est la première fois que l’on me sollicite officiellement pour autre chose que de la formation et du conseil en communication, donc je manque un peu d’assurance. Et je me méfie. Car lors de mon séjour en Nouvelle-Zélande en 2019, séjour pendant lequel j’avais fait une pause dans mon activité afin de me former en photographie, il m’avait invitée à lui envoyer des photos de moi. Nue. Invitation que j’avais poliment déclinée.
Que les choses soient claires : je n’ai rien contre le nu en photographie. Au contraire. Ce genre me plaît en ce qu’il tombe aisément dans le vulgaire, le cliché, le male gaze. Le défi est justement de lui épargner cet échec et de l’élever à un certain niveau d’originalité et d’élégance.
Le banquier fortuné croyait visiblement que son « succès » lui octroyait le privilège d’une forme d’intimité avec moi.
Comble du mauvais goût, il avait précisé qu’il aimait les chemises blanches mouillées.
Ghost coaching
Avec précaution donc, je lui demande si la désignation « coaching » correspond à ses attentes et si oui, comment il imagine nos sessions.
Il ne répond pas.
« Nous pourrions faire des séances pendant lesquelles je t’écoute et t’aide à verbaliser tes pensées, réflexions, sentiments. L’écoute est fondamentale », dis-je.
Il ne pas répond pas.
Au lieu de cela, il déclare : « Tu as changé. Tu es devenue sérieuse ». Ne voulant pas rentrer dans son jeu, je réponds : « J’ai toujours été sérieuse. Je crois que ce que tu remarques, c’est la fatigue de cinq années de formations, d’expatriations, d’aventures et la fatigue que la prise de risque suppose quand les rêves que l’on réalise ne sont pas particulièrement lucratifs ».
Il ne répond pas.
Il pointe du doigt la bague à mon index.
« C’est nouveau ça ».
« Oui. Je vais me marier ».
Je souris avec une certaine retenue pour signaler que je ne souhaite pas parler de moi, tout en me disant qu’il faut savoir s’ouvrir pour permettre à l’autre de faire la même chose. Il me félicite.
« Un homme ou une femme? »
« Une femme extraordinaire ».
Il veut voir un portrait d’elle qu’il regarde à peine.
« Je te comprends. Mais c’est toi que je voudrais épouser! »
La bouteille de vin est déjà presque vide. Il ne lui reste que peu de temps avant de retrouver un collègue. Son attention saute d’un point à l’autre comme pour ne pas se poser sur l’essentiel. Il observe un couple qui vient s’asseoir près de nous, le visage d’une personne âgée qui l’agace, un bout de fromage qu’il veut rattraper avant qu’il ne tache ton costume.
Je réponds tout de même à une autre question, espérant créer un véritable dialogue.
« Que vas-tu faire si aucun maison d’édition ne veut publier le manuscrit que tu as écrit pendant ces années passées à Montréal? »
« Je vais déjà espérer qu’une maison veuille de ce manuscrit. »
« Combien est-ce que ça coûte de s’autoéditer? »
« Je ne sais pas. De toute façon, il est déconseillé de s’autoéditer. Je ne veux pas m’autoéditer ».
« J’ai un client imprimeur. Combien est-ce que ça coûterait de t’autoéditer? Tu as changé. Tu es devenue sérieuse ».
« C’est sans doute la fatigue. J’ai beaucoup fait ces dernières années ».
« Ça c’est le passé! »
« Je pensais plutôt parler de ce que tu m’as dit au sujet du sens de ta vie ».
« Le terme coaching ne va pas ».
« C’est vrai, mais il faut commencer par un mot que l’on puisse aisément identifier ».
« Quand on a du succès, les gens feraient n’importe quoi pour nous ».
Son collègue arrive alors que je me demande quel est le rapport entre cette affirmation et le terme coaching.
Il me demande la traduction allemande d’un verbe. Il n’écoute pas ma tentative de lui répondre et regarde son dictionnaire en ligne. Il m’avertit : ça va être dur. Puis il me tend son téléphone de façon à ce que j’en voie bien l’écran. Je n’aperçois plus son visage derrière l’appareil qui obstrue mon champ de vision.
Fier d’avoir trouvé la traduction de ce qu’il avait en tête, il déclare : « Tu es en train de te briser ».
Je reste sans mots. Perplexe.
Il se lève brusquement pour rejoindre son collègue et me lance : « Tu viendras chez moi un week-end. Il y aura du champagne ».
Sur ces mots, il s’en va.
Il me faut quelques instants pour comprendre ce qui vient de se passer.
Je me demande d’abord si je me sens « brisée ». Non. Loin de là.
Je me sens fatiguée. Rien de surprenant après cinq années de formations dans plusieurs pays différents tout en étant indépendante et en travaillant parfois de nuit à cause du décalage horaire. Je me sens mue par la profonde conviction que mes ambitions créatives vont savoir se mêler avec justesse à ma réalité professionnelle actuelle. Je me sens amoureuse. Très amoureuse. Je me sens forte et inspirée.
Une fois cette première réflexion faite, j’ai l’impression d’avoir été victime d’une agression. L’agresseur était mesquin. Il s’est enfui avant que je ne le démasque. J’ai l’impression qu’une fléchette s’est plantée dans mon dos, un soir pluvieux, dans un pub peuplé de gens désœuvrés et tristes à mourir.
C’est à ce moment seulement que je réalise que l’écran du téléphone qui m’était tendu tel un bouclier, était en fait un miroir dans lequel le banquier fortuné n’avait pas le cran de se regarder.
Au-delà des mots
Voici plusieurs conclusions à cette expérience. Des conclusions pour garder les portes ouvertes mais aussi les yeux ouverts. Au cas où il serait bon de refermer ces portes.
Quand dans ce qui est censé être un dialogue règne l’étrange impression que l’interlocuteur/l’interlocutrice n’écoute pas ce que l’on dit pourtant en toute simplicité, c’est probablement le signe que son intérêt n’est pas satisfait. C’est là qu’il faut écouter à un autre niveau : au-delà des mots. Que veut vraiment cet individu et est-on capable de se confronter à la toxicité de son attitude, voire de sa personnalité? Décider.
Quand on se sent mal à l’aise et on ne sait pas vraiment pourquoi (il est pourtant charmant, il a de l’humour, etc.), ne pas chercher à savoir pourquoi. Le sentiment de malaise suffit. Veut-on rester ou non? Décider.
S’ouvrir pour permettre à l’autre de faire la même chose, oui. Mais dans la réciprocité. Attention aux déséquilibres. Décider.
Les mots sont désagréables mais l’attitude est chaleureuse? Il/elle vous dit des phrases violentes un sourire sur la face? Décider.
Œuvrer à une communication constructive et authentique avec des individus, c’est aussi accepter les obstacles à cette communication. C’est parfois se retrouver devant des murs, des miroirs retournés, des stratégies de protection. À l’endroit même du problème se trouve la potentielle solution. Décider.
DE / Schlüsselwörter : Kommunikation, Coaching, Dialog.
EN / Keywords : Communication, Coaching, dialogue.
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