ÉDUQUER, ÉLEVER ET FORMER

 

VOIE VS. VOIX

 

J’ai récemment discuté avec l’une de mes clientes de la valeur du mot « éduquer » par rapport à « élever ». Nous étions toutes les deux d’accord pour dire qu’ « élever » était non seulement phonétiquement plus beau, mais surtout porteur d’un sens prometteur.

En tant que maman, elle parlait de son fils encore très jeune. Et moi, avec mes propres référents, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ce que me dit souvent ma partenaire au sujet de notre relation : elle nous élève.

« Éduquer » vient du latin « ducere » qui veut dire « conduire ». Pour moi, le mot évoque une route, une voie, une ligne droite. Même si elle est parfois sinueuse, cette trajectoire est balisée et ne mène qu’à un lieu. Un lieu arbitrairement défini comme le but à atteindre. Un objectif qui n’a rien de subjectif. Un objectif qui n’a rien de personnel. Pour y arriver, au contraire, il faut mettre de côté ce qui nous distingue des autres, notre histoire individuelle, les mystères qui nous constituent et qui nous préservent d’un certain regard social. Un regard social intrusif et motivé par la volonté de standardiser, d’aplatir, voire d’écraser toutes les aspérités, tout ce qui dépasse. Le panoptique. Aussi divulgateur que dissimulé. Aussi puissant qu’insidieux.

« Élever » en revanche, suggère une ascension, un mouvement vers le haut. Les limites, parce qu’elles sont aériennes, ne sont pas évidentes. Elles sont à découvrir par l’intuition, l’expérimentation et son analyse. Les chemins ne sont pas tracés. Ils sont à défricher. Quand il n’existe pas de carte pour un itinéraire, on peut espérer une aventure. Quand la destination n’est pas prédéterminée, on peut avancer sans imaginer de fin. Du même coup, on multiplie ses chances de ne pas se laisser influencer par la représentation que l’on s’est faite de la fin, ou qu’une autorité a faite pour nous. Que nous la validions ou non.

Je crois que le meilleur moyen de découvrir et d’explorer tout son potentiel, c’est de commencer le voyage à partir d’un autre endroit que l’image de la destination. Cet endroit porte plusieurs noms selon les affinités de chacun(e) : aspiration, vocation, rêve, voix intime.

La voix. Pas la voie.

 

LA LETTRE FAIT LA DIFFÉRENCE

 

Il m’arrive de penser que si certains mots sont des homophones, c’est pour nous forcer à jouer avec leur signification. Pour être sensible aux détails. Pour rester alerte. C’est le cas pour « voie » et « voix ».

Il m’arrive aussi de prendre en considération la forme des lettres, car je ne crois pas qu’elle soit complètement anodine. Le « e » se déroule en spirale, muet lorsqu’il est placé en fin de mot. Sa discrétion peut faire toute la différence. Le « x » marque un croisement des chemins. Un choix à faire dans un parcours. Tantôt muet, tantôt prononcé, il se réserve le droit de garder le silence ou de s’affirmer par la pression de la langue contre les dents. Féroce. Le « v » s’envole. Il rebondit. Pyramide inversée, il bâtit des ouvertures.

Si l’éducation met sur la piste, élever propulse. Vers l’ailleurs (qui signifie « l’autre ») et donc vers soi. Il n’y a pas de miroir plus constructif que l’inconnu. Et cela ne veut pas dire qu’il faut se mettre en danger pour apprendre. Cela veut seulement dire que l’apprentissage ne devrait pas se faire sans considérer ce qui échappe aux règles. C’est en effet exactement là que l’on peut innover : créer une forme de pensée, de langage, d’instrument qui soit adapté(e) à une nouvelle expérience, à une part de réel jusqu’alors inédite. Façonner un outil qui témoigne de notre malléabilité mais aussi de notre humilité. Parce que si nos langages sont riches, ils ne restent adéquats qu’à l’intérieur d’un cadre déterminé. Et tant que l’on n’aura pas forcé le réel à tenir dans une boîte, jamais j’espère, on apprendra à « parler le monde ».

 

ET FORMER?

 

Former est justement cette étape. La rencontre de ce qui n’appartient pas à nos systèmes linguistiques (entre autres) et de notre capacité à nous y adapter.

Quand vous faites la connaissance de quelqu’un, vous entrez en dialogue, que vous le vouliez ou non. Il se passe quelque chose d’interactif qui va bien au-delà des mots. Un échange subtil de récits.

Si vous « ne sentez pas » quelqu’un, c’est probablement parce que cette personne vous propose une forme de vous-même qui ne vous va pas. Elle vous contraint involontairement (si c’est volontaire, partez en courant) à prendre une voie qui obstrue la vôtre.

À l’inverse, certaines rencontres sont stimulantes. Elles vous font vibrer. Elles vous élèvent. Une petite voix vous dit que c’est bon, vous pouvez y aller, parfois malgré les préjugés et la crainte de vous tromper, de découvrir que ce que vous voulez n’est pas ce qu’il vous faut.

Former ou se former, c’est avancer dans cet espace vibrant sans l’abîmer. C’est l’écouter, le lire, le comprendre. Pas pour le contrôler mais pour interagir avec lui. Pas pour le figer mais pour que le mouvement continue. Une formation réussie n’a pas renforcé les frontières. Elle a permis à chacun(e) de s’en passer sans y laisser sa peau, sans y perdre sa voix.

 

Copyright, Viviane Welter, 2024.

 

DE / Schlüsselwörter : Erziehen, ausbilden, Stimme, Wörter, Buchstabe, Bedeutung.

EN / Keywords : Educate, raise, coach, train, form, voice, words, letter, meaning.