« JE N’AI PAS DE PLAN B »

Sortir des cases en 2024

 

Former en français, mais encore…

 

« Et toi alors, qu’est-ce que tu fais? »

Cette question posée aux apéros ou juste après s’être présenté(e) ne fait pas le même effet à tout le monde.

Moi, elle me stresse. Même si je le cache bien.

Comment expliquer qu’une de mes ambitions dans la vie est de faire TOUT ce qui m’intéresse?

Commencer par le début.

Mais le début n’est pas toujours le début de l’histoire. Dans ce cas, c’est la base de la pyramide: ce qui permet de payer les factures tout en faisant ce qu’on aime.

« Je forme des personnes non francophones en français. Je les aide aussi à rédiger des présentations. Je corrige des traductions ».

Il faut souvent nuancer: « Pas prof, non. Indépendante, oui ».

Si l’événement est sympa, si les discussions vont plus loin et si je sors de ma coquille, arrive le moment où je précise:

« J’écris. Du contenu? Oui, un peu. Surtout pour mon propre site. Oui, peut-être que je devrais essayer de vendre des articles ».

Page du site ouverte sur l’IPhone: « Ah, mais tu fais aussi de la photo? »

Traverser les frontières: l’interdisciplinarité

On m’a conseillé de mettre en avant UNE activité. Une seule.

L’interdisciplinarité a beau avoir le vent en poupe dans les milieux artistiques et universitaires, elle est encore boudée par la plupart des entreprises et institutions.

Si le lien n’est pas facile à faire entre le statut de formatrice en langue française et celui de rédactrice, il l’est encore moins entre la pratique de l’écriture et celle de la photographie.

Et pourtant.

Pourtant, c’est probablement grâce au dépassement des frontières (disciplinaires et géographiques) que j’ai la chance de travailler avec des gens qui valorisent mes particularités.

Soyons lucides. Entre l’avènement de l’IA dans le secteur de la formation et la qualité exponentielle de certains outils digitaux destinés à la traduction et à l’apprentissage des langues, j’ai de quoi m’inquiéter.

Et je ne parle même pas de la complexité du système administratif.

Toutes les entreprises doivent s’adapter. Sauf que dans une entreprise individuelle, on n’a pas de responsable IT, ni de comptable, ni de service juridique. Apprendre à tout faire ou savoir déléguer. Encore faut-il pouvoir se permettre de s’entourer de personnes compétentes.

 

De la photographie à l’écriture, de Bern à Montréal

 

La veille de mon premier départ de Suisse pour une expatriation en Nouvelle-Zélande, un de mes clients me demande si j’ai un plan B.

« Non. Pas de plan B. Parce que si j’en ai un, je n’irai pas jusqu’au bout du plan A ».

Je pars avec une valise. Les quelques affaires que je garde sont stockées dans un container à Bern.

Quand on quitte la Suisse pour plus de six mois en tant qu’étrangère, on perd son permis de séjour.

Auckland. Formation en photographie professionnelle. La seule autre élève de plus de 35 ans abandonne après trois mois. Je deviens la protectrice d’un groupe de quinze jeunes kiwis. Le premier professeur en charge du cours passe plus de temps à faire de la musculation qu’à nous enseigner Photoshop. Quand une jeune femme du groupe se plaint de son comportement prédateur, l’assistante argumente: « C’est culturel. Il vient d’un autre pays ». Je ne peux pas abandonner. Quand on arrête une formation à l’étranger, on perd son visa. Je convoque la direction. Aucune réaction. Mais le prof se casse quelque chose. Remplacé par Derek. Derek sauve notre année.

Janvier 2020, retour en Suisse avec un beau diplôme en poche, un portfolio à l’image de ma vision du monde et un sentiment de vertige exacerbé par Covid.

Pas assez confiance en moi pour me lancer comme photographe à plein temps.

Heureusement, quelques clients que je remercie encore aujourd’hui continuent de travailler avec moi. Je retrouve mon statut d’indépendante et mon permis de séjour, mais impossible d’ignorer les effets de la pandémie sur mon activité.

Un plan B n’aurait servi à rien. Personne n’avait envisagé que tous les plans seraient à ce point brouillés.

Je m’adapte. Je donne mes sessions de formation en ligne. Mais la morosité ambiante pousse de nombreuses entreprises à supprimer leur budget pour les services linguistiques et je n’ai pas assez de clients pour rester à Zurich.

Stagnation exclue.

Prochaine étape: Montréal.

Je perds une deuxième fois mon permis de séjour en Suisse et recrée mon entreprise en France puisque mon passeport me le permet.

Certificat en création littéraire. Travaux d’édition. Rédaction d’essais. Premier manuscrit.

À cause du décalage horaire, je travaille de nuit avec ma clientèle basée en Suisse.

Première séance de la journée à deux heures du matin. Deuxième séance à 4:00. Parfois je me recouche entre les rendez-vous. Parfois je préfère ne pas me rendormir pour ne pas devoir me réveiller à nouveau.

Alors j’écris.

En juin dernier 17’400 mots. En avril 2024, 25’000 mots. Peaufiner. Chercher un titre.

Dans deux semaines, j’enverrai le manuscrit à ma première sélection de maisons d’édition.

« C’est quoi? Un roman? Ça parle de quoi? »

Si vous saviez…

 

 

Copyright, Viviane Welter, 2024.