LA PHOTO PARLE, LA LANGUE REGARDE
La photo comme outil d’apprentissage de la langue
LA LANGUE COMME RÉVÉLATEUR DU REGARD
Ce n’est pas un cours de français comme les autres.
Je glisse sous vos yeux une première photo et vous demande de la décrire de la façon la plus détaillée possible.
Copyright, Viviane Welter, 2016.
Vous commencez :
« C’est un paysage. On voit la mer. »
Selon vos connaissances linguistiques et votre intérêt, vous précisez :
« C’est un paysage marin. Il fait beau. Derrière, on voit des montagnes. Elles sont hautes. C’est probablement l’été car il n’y a pas de neige. Devant, on voit des pierres. Elles brillent. Il n’y a personne. »
Si vous êtes inspiré(e) et si votre niveau le permet, vous allez plus loin encore :
« Le soleil est au zénith. Il recouvre tout le paysage d’une lumière abrupte. L’atmosphère est chargée de brume, filets blancs soyeux qui s’étirent le long de la côte. L’été semble toucher à sa fin car la chaleur a fait fondre la neige sur les sommets que l’on aperçoit en arrière-plan. Les galets sont humides et scintillent après le passage des vagues qui les polit, les use, leur donne une voix tout en entrechocs. Pas une silhouette ne se profile. »
Une image, trois descriptions différentes.
Qu’elle soit minimaliste ou complexe, la description fait appel à une expérience.
Une expérience de la langue elle-même, constituée de vos compétences, des outils que vous avez à disposition (vocabulaire, grammaire, conjugaison, syntaxe), mais aussi une expérience de la vue et du regard. La « vue » en tant que sens, et le « regard » en tant que perspective subjective.
Ce regard témoigne de votre relation à l’objet (la photographie ou le paysage qu’elle représente). Peut-être cette image ne vous dit-elle rien. Peut-être, au contraire, suscite-t-elle en vous des émotions. Peut-être vous rappelle-t-elle quelque chose.
Cette méthode, je l’utilise pour entraîner ma clientèle à formuler ses idées, à mettre en mots ce qui n’oblige aucun discours particulier.
L’intérêt didactique de cet exercice (didactique du français comme langue étrangère mais pas seulement) est double et à l’image d’une médaille, les deux faces sont indissociables. Pour simplifier, on peut imaginer deux axes. Mais ce qui compte vraiment, c’est la surface de sens qui se déploie à mesure que ces deux axes s’éloignent l’un de l’autre. Un grand bassin d’imaginaire.
Le premier axe est vertical. C’est celui de la vue : plonger dans l’image, prendre le temps de s’y promener, y repérer des détails que l’on n’avait pas forcément vus au premier coup d’œil, attraper des impressions et les laisser se poser un instant en soi. Se crée par le regard une expérience, tout à fait personnelle sans pour autant qu’elle soit dénuée d’histoire et de filtres socio-culturels. Cette expérience peut se communiquer ou non.
Le deuxième axe, horizontal, est celui de la formulation, de la verbalisation, de la traduction. Presque simultanément à l’observation, de premiers mots surgissent à l’esprit et se superposent à la vue selon différents points d’accroche. Des repères en quelque sorte. Quelques formes qui font saillie dans le tout. Je prends le soin de dire « presque », car je crois que certaines expériences sensibles précèdent le langage. Du moins, j’aime le croire.
Je cite Émilie Danchin : « Voir, c’est ressentir. »
Et j’ajoute : regarder, c’est se regarder dans le miroir qu’offre l’image lorsqu’on la traduit en mots.
Quelle facette de soi, quel morceau d’histoire de soi regarde-t-on quand on regarde la photo d’un paysage marin? Et celle d’une rue animée? Qui voit-on quand on admire un portrait? Une nature morte?
Les mots que l’on choisit pour les décrire et les explorer au-delà de ce qui figure dans l’espace-temps confiné de la capture, ne sont pas anodins. C’est là que la langue vient jouer son rôle de révélateur. Une chimie du regard. Comme dans la chambre noire.
LA LANGUE COMME MOUVEMENT VERS L’AUTRE
Je glisse maintenant sous vos yeux une autre photo :
Copyright, Viviane Welter, 2024.
Quelques un(e)s souligneront les atmosphères ou des particularités physiques, des couleurs, des formes, en utilisant des noms, des adjectifs.
« C’est un homme assis dans un métro. Il y a du monde dans ce wagon car on voit dans la vitre des reflets de la foule. La lumière est agressive. L’homme est jeune. Il a une trentaine d’années. Il porte un bonnet et une chemise à carreaux. Son jogging est un peu sale. Il a l’air nerveux ou impatient. Dans ses mains, il y a une boîte de croissants en plastique. »
D’autres se concentreront sur des actions. Surtout s’il s’agit de personnes photographiées sans poser.
« C’est un homme qui va quelque part en métro. Il regarde vers l’avant de la rame. Il ne sourit pas. Il tient une boîte en plastique. Ses pieds bougent tout le temps. Il observe les gens entrer et sortir. Puis comme il s’ennuie, il regarde son téléphone et commence à taper des textos. »
Le regard se met à imaginer des mouvements, du corps et de l’esprit, car il est lui-même en mouvement.
Voir, c’est ressentir. Ressentir, c’est commencer à regarder. Un geste qui se prolonge par les mots, qui s’accomplit même, par eux. Et qui se donne au regard de l’autre, à sa compréhension aussi. Mais ceci est aussi une affaire d’écoute. Une écoute sincère qui dit « ça me regarde aussi. »
DE / Schlüsselwörter : Französischkurs, Fotografie als didaktisches Mittel, französische Sprache, Sprache Erfahrung, Sprache Erlebnis, Ideen formulieren, beschreiben, Selbstfacetten, Farben, Formen, Aktionen, Zuhören.
EN / Keywords : French lesson, French language, Photography as didactic tool, Language experience, formulation of ideas, describe, facets of oneself, colors, forms, actions, listen.
Copyright, Viviane Welter, 2024.