LE PASSÉ AUX TROUSSES
S’échapper avec l’écriture créative
Verdun.
Non. Pas celle des tranchées.
J’ai 106 ans de retard sur cette bataille.
Bataille avec un grand B.
Et je ne m’appelle ni Georges ni George
Sand
Sans démon.
Seulement des fantômes à semer.
La panique au cœur
d’artichaut.
Froid me presse.
Pression à froid
Olive ma peau méditerranéenne frissonne
sur le trottoir de « la rue la plus cool du monde »
trottoir que je suis
à la lettre
sans être.
Car on ne peut pas être quand on suit.
J’ai rempli de tempêtes de sable
un désert
pour que dans un mirage
perde mon héritage
toute trace de mes pas.
Pas pas. Pas.
Sans repère.
Je préfère
naître et renaître
plutôt qu’être
un nom : la fille de son père
un adjectif : forte, douce, ah oui et surtout belle
une généalogie : Welter vient du vieil allemand « Walt », gouverneur et « Hari », la guerre.
On me demande souvent comment prononcer ce W.
Je réponds comme « World », monde en anglais.
Pas comme « Welt », monde en allemand.
Je ne suis pas la fille de mon père.
Je nais et renais de refuser l’héritage
parce que ce cadeau-là est piégé.
Je n’y mettrai pas les doigts.
Il ne faut pas toucher un présent forcé par le passé.
Et toi gamine, tu monologues dans un sanglot ininterrompu ta honte de ne rien avoir à laisser.
Encore fascinée par tes pères
angoissée à l’idée de couper le lien
le cordon.
Nombriliste
tu préfères rester lovée dans l’ombre de leur corps
enveloppée dans les couvertures qui ont fait la une de la littérature
à cette époque dont tu dis qu’elle est révolue
Révolution ratée d’un vingt-et-unième siècle pourri gâté.
Faute de pouvoir engendrer avec le même panache et la même authenticité fantasmés
tu t’essouffles dans une continuité forcée
incapable de sauter
à la ligne.
Rien dans ta ligne de mire que ton propre reflet.
Point.
À poings fermés tu ne dors que pour ne rien laisser les ouvrir.
Petite colère de petite ambition
celle de la reconnaissance du père
de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours
qui a chassé
qui t’a chassée
qui a péché
qui a pêché
à la ligne
Mais gamine tu ne sais même pas sauter à la ligne.
Point.
Poing dans ta figure.
Ta figure de style.
Style à dire « genre » tous les deux mots
Genre dont tu ne peux te passer
pour passer inaperçue
pour mieux passer
dans « la rue la plus cool du monde ».
Être cool on kiffe.
Ne pas réagir
ne pas rougir
ne pas rugir
gamine tu ne seras jamais lionne.
Verdun disais-je.
2022.
Il manque un 2.
Ça fait un trou.
Il manque notre deux.
Il manque nous deux.
Il manque ce trou dans lequel pouvoir s’abandonner.
Pas celui de son sexe.
Celui de son altérité.
Il manque le vertige de l’Autre.
Pas tous les autres.
Il manque une adresse.
Son adresse.
Il manque de pouvoir mettre un point.
Et envoyer.
Puis attendre.
Avoir peur.
Espérer.
Il manque le danger.
Pas de requin dans les eaux de Verdun plage.
ni d’orque
ni de méduse
pour me transformer en statue
moi qui voudrais tant être pétrifiée
si c’est devant elle que je suis érigée.
Et toi gamine tu fuis.
Par petites gouttes à l’abreuvoir de Verdun plage.
Petite fuite pour petite sonate
en roi mineur
tu préfères à l’onde de choc
l’éponge de bob
pour absorber lambda
pourvu qu’il soit assez cool
pour ne pas trop exister et pour ne pas te rappeler
que tu as peur d’apercevoir les limites de ton image
et le début de tes contours.
Que tu as peur de mettre un point et de sauter
à la ligne
de sauter tout court.
Nostalgique du début pour ne pas rencontrer la fin.
Diversion et autant de versions du manque de courage.
Aucune rage seulement de petites frustrations.
Tu te languis de tes pères
et ta langue te perd
usée de ne pas vivre
mordue de rien
ni pomme
ni serpent
dans les dunes de la plage de Verdun.
Copyright, Viviane Welter, 2022.