LE PODCAST ET LA VOIX
PREMIÈRE EXPÉRIENCE
REVUE « LE SABORD », Numéro 128, « Foudres ».
Jen et moi avons eu l’opportunité d’écrire un texte à quatre mains. Si elle a l’habitude d’écrire pour des revues, colloques et autres médias liés à la recherche et à la littérature, pour moi c’était une première.
Ce texte, une suite poétique qui s’intitule « La pérennité de nos identités tient souvent à un e » et que l’on peut commander en ligne via le site de la revue Le Sabord, est avant tout un dialogue. L’écriture s’est faite à distance. Jen était à Montréal. J’étais en Suisse. De nombreux obstacles se dressaient encore sur le chemin de nos retrouvailles en Europe : paperasse, réglementations relatives au voyage avec chat, contradictions entre les différentes administrations, coûts, recherche de logement, adieu au passé, Atlantique, pour n’en citer que quelques-uns. Je compte bien écrire d’ailleurs tout un essai au sujet de ce type d’expérience.
La voie ne semblait jamais libre. La voix, quant à elle, s’enrouait. Quand on compte quitter un pays et se faire une place dans un autre, l’un des défis majeurs est bien de garder confiance en soi. Notre voix ne compte pas. Bien au contraire, on apprend (ou pas) à adopter celle que les autorités veulent bien, éventuellement, entendre. Pas question de l’écouter par contre, cette voix.
Ce dialogue nous liait, de Montréal à Fribourg. Ce dialogue nous inscrivait dans le même faisceau horaire. Ce dialogue traçait un sentier parallèle aux formalités, à toutes ces voies tracées, bitumées, figées dans l’espace-temps d’un vocabulaire administratif déconnecté du réel, du corps, de l’expérience unique.
Quand je l’ai vue enfin arriver à l’aéroport de Bruxelles, avec Maraude dans son petit sac de voyage, tous les sas semblaient s’ouvrir et permettre à nouveau à la corporéité d’exister, à la voix d’être écoutée.
Novembre à Liège est encore plus dégoûtant que dans les autres villes occidentales. Nous étions provisoirement locataires d’un studio en centre-ville, en attendant de trouver un appartement pour la durée officielle du séjour en Belgique. Le texte venait de paraître et nous étions invitées à en parler par vidéo en compagnie de l’artiste Charline Dally, publiée dans le même numéro. La séance était animée par Karine Bouchard et Anne-Marie Duquette que je remercie, encore et encore, autant pour leur professionnalisme que pour leur sensibilité artistique. « Animée » est le mot juste. Dans la pénombre de notre studio provisoire, dernier « sas », du moins nous l’espérions, vers un espace qui nous ressemblerait davantage, la lumière de l’écran venait abruptement éclairer nos deux visages. Jen, concentrée et prête. Moi, éblouie et gênée. Ma paupière gauche luisait car j’y avais appliqué une pommade pour tenter de vaincre un chalazion. Première expérience de podcast : sortir des sas, faire écouter sa voix.
DEUXIÈME EXPÉRIENCE
J’HABITE OÙ JE LUTTE
Exil, expatriation, mouvement…
Florian Grandena, publié aux éditions Somme Toute et Nota Bene, m’a invitée à participer à cette discussion dont il souhaitait initialement faire un ouvrage collectif. Le podcast sera disponible cet été.
Une fois de plus, il s’agissait d’identité, ou du moins de ce qui permet d’en sortir. À tous les termes mentionnés pour désigner un départ de France, j’ai préféré celui de « mouvement ».
Je consacrerai un texte aux mots choisis par les participant.e.s au podcast. Pour l’instant, c’est de l’énergie que cette expérience m’a donnée que je veux parler.
La dimension audio a quelque chose de vif. Même si l’on peut couper, effacer et arranger les séquences enregistrées, la voix, elle, a glissé. De l’idée à la gorge, du souffle aux lèvres. Sa contingence tient à quelques cordes, jouées comme au violoncelle. Sa réalité aussi.
Il était assez tard de mon côté de l’océan et la lumière de mon bureau détonnait un peu avec les écrans des autres. J’étais écarlate. Alors que tout se passait bien, qu’il me semblait réussir à formuler mes expériences et perspectives, une question m’a été posée. Celle de « la maison ». J’ai bien tenté de répondre, d’en dire plus au sujet de cette maison. Cette maison de famille déchirée. Cette maison de famille dont je n’avais plus la clé. Cette maison de famille désertée. Cette maison de famille menacée par les flammes. « Home » pas « house ». Je faisais référence à ce fragment de mon manuscrit « Spiracles » qui lui aussi, cherche sa maison depuis quelques mois. Soudain, ma voix s’est obstruée. C’était la deuxième fois que cela m’arrivait. La première fois s’était manifestée lors d’un cours en création littéraire à l’UQAM. J’avais évoqué la naissance. Quelque chose concernant le fœtus. Prise d’une sorte d’angoisse, j’avais dû reprendre mon souffle, calmer les palpitations qui tourmentaient ma cage thoracique.
Il y a dans ce « x » de « voix » un croisement de voies qui me semble prometteur : Entre liens et nœuds, entre déplacements et métamorphoses.
Déstabilisée à l’endroit même de ma voix, je me sens funambule.
Copyright, Viviane Welter, 2025.